La loi dite de « Sécurité Globale », adoptée le 24 novembre à l’Assemblée et qui devrait être discutée au Sénat en janvier, suscite une levée de boucliers de la part de nombreuses associations et syndicats et est dénoncée comme une menace envers les droits fondamentaux.
Ce texte, à vocation d’ « intégrer plus directement l’ensemble des acteurs de la sécurité et de la sûreté autour d’un continuum de sécurité » afin de faire face aux « nouveaux défis à relever pour la sécurité des français » inquiète non seulement les associations de défense des droits de l’homme mais aussi les médias (ici) ou encore les avocats (ici et là).
Le très controversé article 24, qui « sanctionne la diffusion « malveillante » de l’image des policiers notamment lors de manifestations » n’est qu’une des facettes de cette loi.
Cent cinq associations, syndicats, dont la FSU, ont signé, le 12 novembre, l’appel « contre la loi Sécurité globale, défendons le droit de manifester » (ici). La FSU a clairement pris position contre cette dérive étatique et demande l’abandon de ce projet de loi (communiqué ici). Il en va de notre conception des libertés fondamentales et du fonctionnement de la démocratie.
Le 12 novembre, la France a en outre reçu un rappel à l’ordre de l’ONU, qui dans son rapport (voir en bas d’article) déclare « craindre que l’adoption et l’application de cette proposition de loi puissent entraîner des atteintes importantes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée, le droit à la liberté d’expression et d’opinion, et le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique [...] ». Articles ici, ici et ici.
Enfin, l’actualité récente est venue confirmer la nécessité du retrait de cette loi. De nouvelles images de violences policières, que ce soit à l’encontre d’un campement de migrants Place de la République, ou d’un producteur de musique, appellent à un profond changement dans la politique de sécurité du gouvernement.
Dans ce contexte, ce sont 500 000 personnes qui ont défilé dans les rues un peu partout en France, entre le 26 et le 28 novembre.
Manifestations à Toulouse le 26 novembre et Paris le 28 novembre ; liste non exhaustive des rassemblements.
Décryptage
1 : Police Municipale : de nouveaux pouvoirs
On trouve dans ce texte des dispositions pour renforcer les pouvoirs des polices municipales et des agents de sécurité privés, autoriser l’utilisation de drones, étendre et optimiser l’usage des caméras-piétons portées par les policiers lors des interventions, permettre ces derniers de conserver leurs armes, quand ils ne sont plus en service, y compris dans les lieux accueillant du public. Ce texte brasse large, trop même pour ne pas être suspect.
2 : Sécurité privée : des conditions d’embauche durcies
Dans son 2nd titre, composé de 22 articles, la proposition de loi s’attache à mieux structurer et encadrer le secteur de la sécurité privée. Dans ces dispositions censées moraliser ce secteur, l’article 10 exclut des métiers de la sécurité les étrangers détenteurs d’un titre de séjour de moins de 5 ans ; un point contesté par la Défenseure des droits.
3 : Vidéosurveillance et images
Le titre suivant consacré à la vidéoprotection » et à la « captation d’images » est problématique. L’article 20 permet aux agents des polices municipales d’exploiter les images de vidéosurveillance. L’article 21 autorise la transmission en direct des images des caméras-piétons, et l’accès des personnels à leurs propres enregistrements, alors qu’en 2016 la CNIL considérait que l’interdiction de cet accès était « une garantie essentielle ». Il permet en outre l’utilisation de ces images pour « l’information du public sur les circonstances de l’intervention » sans égard pour l’identité des contrevenants, ni pour le secret de l’instruction.
4 : Généralisation utilisation des Drones
L’article 22 encadre l’utilisation des drones possédés par les forces de sécurité nationale. Les amendements de protection visant à interdire le sous-traitement de l’exploitation de leurs images, les traitements de reconnaissance faciale, l’observation des domiciles ou immeubles et espaces privatifs ont tous été rejetés.
5 : Violences contre un policier : pas de réduction de peine
Ce sont les dispositions les plus médiatisées. L’article 23, qui vise à automatiser la suppression des crédits de suppression de peine pour les personnes condamnées à des violences ou menaces envers élus, agents de l’administration pénitentiaire, des douanes, de la gendarmerie, de la police nationale ou municipale, des pompiers. Pour la Défenseure des Droits, cela « reviendrait à transposer des règles applicables en matière de terrorisme à des actes et comportements de gravités très inégales » avec pour conséquence notamment de faire « obstacle à l’exercice du pouvoir d’individualisation des peines par le juge ».
C’est encore l’article 24, dénoncé dans de nombreuse tribunes et communiqués émanant de journalistes, d’associations de défense des libertés, d’avocats ou d’usagers des médias, qui envisage de punir « d’un an d’emprisonnement et de 45 000€ d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale autre que son numéro d’identification individuel lorsqu’il s’agit dans le cadre d’une opération ».
Ces articles symbolisent à eux seuls le déséquilibre d’un texte ultra-sécuritaire qui soulève, comme s’en est inquiétée la Défenseure des droits, « des risques considérables d’atteinte à plusieurs droits fondamentaux ». On assiste au passage d’un cap sécuritaire historique : toujours plus de surveillance, plus de moyens et de pouvoirs pour la police et consorts, dans des proportions et à un rythme jamais égalé. Ces dispositifs de surveillance et de reconnaissance faciale permettront à l’État de constituer des fichiers et donc de mieux contrôler les opposant·es, les manifestant·es. On risque de voir s’accroître les gardes à vue « préventives », les interdictions de manifester. Un pas supplémentaire vers la privatisation des pouvoirs régaliens essentiels de l’Etat, la sécurité, selon une logique libérale.
Quelques éléments dans la presse
- « Nous construisons avec ces lois sécuritaires les outils de notre asservissement de demain »(Le Monde)